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France. Les émeutes relancent des débats brûlants

France-Monde. La mort de Nahel et les émeutes ont relancé des débats anciens : racisme, discriminations, quartiers...

France. Les émeutes relancent des débats brûlants
Lors du passage du Tour de France à Bilbao en Espagne, le 1er juillet - © Marco Bertorello / AFP

Le pays est-il en train de se ghettoïser ?

Les auteurs des attaques et des pillages viennent pour beaucoup des quartiers ou des cités. Mais, contrairement à 2005, la révolte ne s'est pas concentrée sur les grandes banlieues. Elle s'est au contraire étendue à beaucoup de villes moyennes. La réalité sociale nuance l'idée d'un pays en train de se ghettoïser.

Une récente étude de France Stratégie a mis en évidence une distinction importante. Le nombre de jeunes issus de l'immigration extra-européenne (ayant au moins un grand-parent né hors d'Europe) a augmenté entre 1990 et 2015 : en région parisienne, ils sont passés en vingt-cinq ans de 16 % à 26 % de la population générale (38 % pour la Seine-Saint-Denis). Mais dans le même temps, un autre indice a diminué : "l'indice de ségrégation", qui mesure la répartition géographique de la population issue de l'immigration en fonction des quartiers. "Sur le long terme, on observe une légère baisse de l'inégalité de répartition des personnes issues de l'immigration", résume l'un des auteurs de l'étude, Pierre-Yves Cusset.

L'idée d'une population assignée à résidence dans les quartiers est aussi à relativiser. Selon une étude de 2017, le taux de mobilité des ménages des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) est d'environ 10 % par an. Et parmi ceux qui déménagent, six sur dix accèdent à un logement situé hors QPV. Le terme de ghettoïsation semble donc inapproprié à la réalité française. Cependant, les écarts de richesses se creusent entre les territoires, comme le souligne l'économiste Thomas Piketty.

Y a-t-il un lien entre immigration et délinquance ?

Sur le site du Musée de l'histoire de l'immigration, le journaliste Mustapha Harzoune fait un état des lieux précis. En 2020, la justice a prononcé 469 571 condamnations pour crimes et délits et contraventions de 5e classe dont 82 135 à l'encontre d'étrangers, soit 16 % alors que les étrangers en situation régulière représentent environ 6 % de la population. Parmi les explications de cette surreprésentation, Mustapha Harzoune souligne que les infractions impliquant fortement les étrangers sont celles "qui enregistrent les taux les plus élevés d'élucidation par la police et la gendarmerie. Nombre de délits constatés sont apparentés à une délinquance dite "de pauvre" et à la dégradation de la situation des quartiers." De même les immigrés et leurs descendants sont surtout présents dans les types de délinquance des milieux populaires, les plus visibles, les plus simples et donc les plus réprimés. Les personnes nées à l'étranger ne sont pas surreprésentées dans les affaires les plus graves (violences, vols aggravés, etc.). "Les statistiques ne disent rien en soi" du lien entre immigration et délinquance, conclut l'auteur.

Peut-on parler d'un racisme systémique dans la police ?

Pour le sociologue spécialiste de l'immigration Smaïn Laacher, cette dénonciation d'un racisme systémique relève du "slogan" plus que de l'analyse. "Il faut avoir voyagé dans le monde pour savoir ce qu'est un État raciste avec des institutions et des règles racistes." Cela vaut aussi selon lui pour la police. Le sociologue n'élude pas les problèmes de formation et d'encadrement des forces de l'ordre qu'il a lui-même documentés lorsqu'il présidait le conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Mais il met dans la balance des responsabilités la violence quotidienne dans certaines cités.

Contrairement à Smaïn Laacher, le démographe Patrick Simon estime qu'il existe bien un racisme systémique dans la police. La France est selon lui dans le déni, se refusant à questionner le cadre institutionnel qui rend possible la multiplication des bavures. "La police est l'institution malade de la République", n'hésite pas à dire Patrick Simon.

Les descendants de migrants sont-ils discriminés ?

Deux récentes études montrent que l'ascenseur social fonctionne encore pour les enfants de l'immigration. Sur la base d'un large échantillon de 100 000 individus, France Stratégie a cherché à déterminer le facteur le plus important d'inégalité. Il en ressort que l'origine sociale compte bien plus que l'ascendance migratoire. L'écart des revenus (toutes choses égales par ailleurs) s'élève en moyenne à 1 100 € entre les personnes d'origine favorisée et celles d'origine modeste, contre 150 € entre les personnes sans ascendance étrangère et celles "avec ascendance migratoire africaine". L'origine sociale est donc sept fois plus importante que l'origine ethnique.

Dans une étude de mars 2023, l'Insee s'est concentré sur l'évolution de la situation sociale de ces populations. Ainsi, les immigrés ont des revenus en moyenne 22 % inférieurs à ceux de personnes ni immigrées ni descendants d'immigrés. Mais cet écart se réduit à 19 % pour les enfants de parents immigrés, et même à 6 % pour ceux ayant un seul parent immigré. Dans les familles issues de l'immigration, l'accès aux diplômes augmente également au fil des générations.

En revanche, toutes les études montrent que les discriminations subsistent quant à l'accès à l'emploi ou au logement, au revenu et au déroulement de carrière. "Ces deux réalités ne sont pas contradictoires, explique le démographe Patrick Simon. Le jeu de l'intégration est plutôt respecté, des jeunes réussissent mieux que leurs parents mais cela ne mène pour autant à l'égalité réelle, ce qui nourrit un sentiment d'injustice."

Néanmoins, le démographe distingue cette population qui bon an mal an s'intègre d'une jeunesse en rupture, sans diplôme, qui a pu s'identifier à Nahel. Le sociologue spécialiste de l'immigration Smaïn Laacher abonde en ce sens : "Le sentiment de discrimination ne fait pas des émeutes. Quand on voit de très jeunes adolescents avec des cocktails Molotov, cela ne peut s'expliquer seulement par un désamour de la France, mais cela révèle un problème de climat de violence, un effondrement des structures sociales et familiales."

Bernard Gorce

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